La Norvège saute dans le train de la nanocellulose

La première usine de production au monde de MFC a été démarrée par Borregaard en 2016. Photo: Borregaard.

Sören Back
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La recherche et développement de différents types de nanocellulose monopolise beaucoup d’argent et d’effort ces dernières années. La Norvège, qui ne figure pas parmi les plus grands producteurs de pâtes et papiers, fait pourtant sa large part.

La nanocellulose n’est pas une substance homogène destinée à une seule application mais bien, comme le souligne Kristin Syverud, directrice de la recherche chez RISE PFE en Norvège, « différents types de substance et de chimies de surface qui se comportent différemment. »

La nanocellulose provient du bois, des plantes annuelles, de certains résidus et de microorganismes marins, lesquels produisent différentes nanocelluloses. Les produits de nanocellulose deviennent aussi différents que les pâtes entrant dans la composition du papier. De plus, le spectre de produits issu de la nanocellulose est plus large que les pâtes elles-mêmes.

Il va sans dire qu’un simple blogue ne peut rendre compte de toute la fébrilité qui existe autour du champ de la nanocellulose. Même écrire un livre sur le sujet est une tâche difficile, sans compter le fait qu’une fois terminé, ce bouquin deviendrait vite obsolète, tellement tout va très vite. Je me bornerai ici à rendre compte de certains exemples de ce qui se passe en nanocellulose dans les pays nordiques.

L’Institut de recherche RISE PFI en Norvège réalise, depuis 2003, des projets de R&D dans le domaine de la nanocellulose, avec un focus spécial sur les nanofibrilles de cellulose qui sont utilisés dans le papier, le carton mais aussi en médecine, dans l’alimentaire et l’impression 3D.

SB 24mai22 2Phillip André Reme, Kristin Syverud et Gary Chinga Carrasco de RISE PFI sont profondément impliqués dans la recherche norvégienne sur la nanocellulose. Photo: RISE PFI.

« Notre tâche est de devenir un partenaire en innovation pour l’industrie afin que ses entreprises puissent croître, » assure Philip André Reme, Directeur général de RISE PFI. « Nous avons publié plusieurs articles avec les résultats de nos recherches, ce qui permet à d’autres de bâtir sur ces recherches et de commercialiser des produits. Puisque le gel de nanocellulose est facilement extrait, on peut l’utiliser pour l’impression 3D, un domaine sur lequel nous avons beaucoup travaillé. D’ailleurs, il y a des encres 3D de nanocellulose qui sont issues de nos recherches chez RISE PFI. »

En Norvège, il existe une initiative pour construire une infrastructure nationale de recherche dans des domaines stratégiques. RISE PFI est responsable pour le Laboratoire norvégien de bioraffinerie, NorBioLab, avec de l’équipement disponible pour l’industrie et les chercheurs. Récemment, des fonds ont été investis dans NORCELlab, un laboratoire norvégien de la cellulose qui deviendra un pôle de recherche, d’éducation et d’innovation d’ici 2024.

‘Nous avons très tôt identifié des applications biomédicales pour la nanocellulose, » poursuit Garry Chinga Carrasco, récipiendaire du TAPPI Nanotechnology Division Mid-Career Award pour son travail chez RISE PFI. « Si vous produisez de la nanocellulose d’une certaine façon, vous obtenez un gel aux propriétés antibactériennes. Une méthode a été implantée pour produire une nanocellulose à indice de pureté élevé à partir du bois et sans contaminant. Dans un suivi de projet avec la compagnie norvégienne Oxy Solutions, la recherche est passée au stade des essais cliniques et si tout va bien, un produit sera commercialisé d’ici deux ou trois ans. En plus du bois, la nanocellulose peut être obtenue à partir d’organismes marins, un procédé mis au point par la norvégienne Ocean Tunicell qui produit pour sa part un grade médical ultra pur de nanocellulose à des fins biomédicales. »

RISE PFI travaille aussi dans « l’ingénierie de tissu » pour permettre au corps de se guérir soi-même, » explique Kristin Syverud. Pour ce faire, nous avons besoin de cellules souches d’un patient et d’un porteur sur lequel ces cellules se fixeront. La nanocellulose a une surface qui accueille bien les cellules venant s’y attacher pour se reproduire. » Autant Borregaard que Norske Skog, les deux plus gros joueurs de l’industrie de la cellulose, travaillent depuis 2005 sur les micro fibrilles de cellulose (MFC) et ont commercialisé, il y a quelques années, des méthodes brevetées pour introduire les MFC sur le marché. »

« Tout a commencé lorsque nous avons innové radicalement dans le secteur de la cellulose, » enchaîne Hans Henrik Ovrebo, chef de la direction, Technologie, pour Borregard Cellulose Fibrils. Le projet est venu d’en haut, du personnel de direction. Résultat : on a pris la décision de construire une usine adjacente directement à notre bureau-chef de Sarpsborg, pour pouvoir appliquer une technologie brevetée. »

Borregaard utilise alors sa propre cellulose spéciale, basée sur la méthode au sulfite. Le procédé est flexible et utilise différentes qualités de cellulose. L’usine, la première de sa catégorie, a pris son envol au dernier trimestre de 2016, avec une capacité de 1000 tonnes sèches. Le produit, commercialisé sous le nom d’Exilva, est vendu avec une capacité de dispersion de 2% à 10%, et cette capacité peut être doublée. « Nous nous appuyons fortement sur des applications et des groupes de clients qui vivent des défis techniques avec leurs produits et ou les propriétés d’Exilva peuvent solutionner des problèmes, » d’expliquer M. Ovrebo. L’objectif avoué est de déloger notamment le plastique comme agent barrière alimentaire, par exemple.

En 2005, Norske Skog a aussi donné le coup d’envoi à ses recherches sur les MFC et c’est en 2017 que son usine de MFC prenait son envol, à la papetière Saugbrugs SC. La matière brute est une pâte de sulfate produite selon la méthode Turbak. Dépendant du grade produit, la capacité de production atteint les 500 tonnes/année.

SB 24mai22 3De l’époxy avec des MFC n’a pas besoin d’être retouché ultérieurement. Photo: Norske Skog Saugbrugs.

« Les MFC ont l’avantage d’absorber l’eau, note Hugo Harstad, Directeur du développement commercial chez Norske SKog Saugbrugs. « Un gramme de MFC couvre une surface aussi vaste qu’un court de tennis. Aussi peu que 0,1 à 0,2% de MFC dans la peinture en contrôle la thixotropie : avec notre produit, la peinture devient comme du ketchup et adhère mieux aux murs, agissant comme agent épaississant. Les subventions gouvernementales d’Innovation Norvège et du Conseil de recherche de Norvège permettent la conception de nouveaux matériaux dont l’industrie a besoin pour devenir plus durable. Il est crucial de bénéficier de la coopération de partenaires qui sont des spécialistes de leur industrie. »

Malgré le fait que l’industrie papetière norvégienne soit de taille relativement modeste, Borregaard et Norske Skog Saugbrugs ont atteint une notoriété internationale plus rapidement que d’autres joueurs impliqués dans la recherche et le développement sur les MFC. Une situation pour le moins trompeuse puisqu’il est généralement admis qu’il faut du temps pour réaliser tous les bénéfices des MFC lorsqu’on les utilise pour remplacer d’autres additifs à base de matières fossiles. Il s’agit d’un produit qui requiert des aptitudes de ventes techniques puisqu’il vient ébranler les fondements de produits du passé. Cela ne fait aucun doute que différentes sortes de nanocelluloses vont jouer un rôle de plus en plus important dans l’obtention de bénéfices. Le train de la nanocellulose est bien en marche et  l’industrie papetière norvégienne a résolument sauté dedans.


SorenBack portraitSören Back a fait sa marque dans l’industrie suédoise des pâtes et papiers depuis 1976. Détenteur d’une maîtrise scientifique en chimie, option technologie des pâtes et papiers, la carrière de M. Back passe du contrôle de production au développement de produits, de même qu’aux ventes, marketing et communications, ayant surtout occupé des postes de direction. Au cours des années passées, Sören a travaillé pour MoDo Paper, M-real – maintenant Metsa Board – et SP Processum. Il dirige maintenant sa propre entreprise, SB Kommunication AB, à titre de rédacteur pigiste et consultant en communication pour des clients provenant majoritairement de l’industrie des pâtes et papiers.